(CHALLANGES) par Sandrine Jean, docteur en droit, auteur de Droit du travail, les arrêts décisifs 2004-2005, Ed. Liaisons
L'employeur peut rompre un contrat durant l'essai. Mais sera condamné en cas d'abus.
L'histoire
Un cabinet de recrutement m'a fait miroiter un poste sur mesure il y a quelques mois. Après de longues discussions, je me suis laissé convaincre :
j'ai donné ma démission et signé un contrat assorti d'une période d'essai de six mois, ce qui est classique à ce niveau de responsabilité. Tout semblait bien se passer. Mais, au bout d'un mois,
le responsable du pôle m'a appelé dans son bureau pour m'annoncer que j'étais viré ! Je ne faisais pas l'affaire, m'a-t-il dit. Que puis-je faire ?
La solution
En principe, l'employeur peut librement rompre le contrat de travail
pendant l'essai, sans motif ni procédure. Encore faut-il que ce droit ne dégénère pas en abus (Cass. soc., 15 novembre 2005, n° 03-47.546). En l'espèce, les juges ont considéré que la rupture du
contrat d'un directeur général adjoint intervenue deux semaines après le début des relations contractuelles était abusive. Ils ont rapproché ce bref délai de deux autres éléments : le salarié,
qui venait de démissionner de son emploi précédent, avait été engagé après de longues négociations avec le président-directeur général, et il n'avait pas été mis en demeure de donner la preuve de
sa capacité professionnelle. L'abus commis par l?employeur lui a permis d'obtenir des dommages-intérêts évalués en fonction de l'ampleur du préjudice subi. Les juges prennent aussi en compte
l'âge du salarié pour caractériser l'abus de l'employeur (Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-41.224 à propos d'un salarié recruté comme chef d'agence et congédié au bout d'une semaine, à 45 ans).
Même embauché en CDD, un salarié peut se retourner contre l'employeur qui rompt l'essai sans avoir pris le temps d'apprécier ses qualités professionnelles. Et s'il le fait alors que le contrat
n'a pas encore été exécuté, le salarié peut obtenir une indemnité couvrant l'ensemble des salaires qui lui étaient dus jusqu'à la fin du contrat (Cass. soc., 16 octobre 2002, n° 00-46.378).
Etant donné l'importance de vos fonctions et les longues négociations
que vous avez menées avant de démissionner, vous pouvez donc raisonnablement espérer une indemnisation pour la rupture de votre contrat.